Les Cahiers de l'Islam : Intégrez-vous cette dimension religieuse dans le cadre de votre pratique professionnelle ? Si oui, sous quelle forme ? N’y-a-t-il pas incompatibilité entre psychologie et Islam ?
Dominique Thewissen : Comme je viens de le développer, il s’agit plutôt d’une dimension spirituelle que religieuse. En tant que psychothérapeute, je me dois d’accueillir chaque personne dans ce que l’on nomme, dans notre jargon, la neutralité bienveillante. Cela ne veut pas dire que je nie la spiritualité des gens mais que je les prends là où ils se situent au niveau de leurs convictions, religieuses ou non. Il est utile de rappeler que les musulmans ne forment pas une communauté monolithique, bien au contraire et que la psychothérapie telle que je la pratique, même si elle prend en compte la dimension spirituelle des gens, ne peut certainement pas se confondre avec la prédication ou le prosélytisme.
Ceci dit, à partir du moment où une personne se réfère à un cadre religieux précis, j’y fais évidemment une place, toujours en partant du cadre de référence de la personne, quel qu’il soit, sans jugement de valeur.
Par contre, dans le travail psychothérapeutique, il y a une grande part de réflexion sur soi-même, sur sa manière de concevoir les choses, sur ses relations avec autrui, sur la manière dont s’incarnent nos choix philosophiques et religieux ainsi que les valeurs qu’ils sous-tendent pour nous dans notre vie quotidienne.
Il y a aussi des situations où il est primordial d’aider les gens à prendre du recul face à certaines évidences apparentes. Par exemple, lorsqu’il est question d’obligations liées à la piété filiale dans des situations de négligence ou maltraitance parentale, voire même d’abus sexuels. Notre communauté n’est, bien malheureusement, épargnée par aucun de ces fléaux.
Dans certaines situations, des personnes sont aux prises avec une culpabilité dont elles ont du mal à sortir et qui les mine véritablement. Cette culpabilité se fonde souvent sur des principes mal compris comme ne pas dénoncer la faute de son frère, ne pas dévoiler de secrets conjugaux ou familiaux. J’en propose alors une lecture plus nuancée mais surtout, j’invite à la réflexion en ce qui concerne certaines priorités comme l’intégrité physique et psychologique d’un enfant et la responsabilité des parents de tout mettre en œuvre pour préserver cette intégrité afin qu’ils aient un maximum de chance de devenir des citoyens équilibrés et responsables.
Au passage, il est important de rappeler qu’un(e) psychothérapeute est soumis(e) au secret professionnel. Dès lors qu’au cours d’une consultation, des secrets sont évoqués, ils ne sont pas pour autant divulgués d’une manière qui peut porter préjudice aux personnes qu’ils concernent, et le dépôt d’un secret dans ce cadre a pour objectif le mieux-être de la personne en thérapie, mieux-être qui profitera autant à son entourage qu’à elle-même.
Dès lors que je suis assurée que, pour la personne qui me consulte, la prière, le dhikr, le jeûne sont des ressources, je l’encourage à y recourir, par exemple, la prière de consultation. Mais aucune pratique n’exempt qui que ce soit de faire sa part. Le Coran nous dit que Dieu ne changera la destinée d’un peuple que lorsque celui-ci se changera. Un hadith évoque également le conseil donné par le prophète à un homme qui le questionnait sur l’utilité d’attacher son chameau puisqu’il n’arrivait que ce que Dieu avait décrété. Mohammed lui a répondu d’attacher d’abord son chameau puis de s’en remettre à Dieu.
Là où la dimension religieuse prend également sa place dans les consultations, c’est dans le travail que certaines personnes ont besoin de faire pour se pardonner des choses qu’elles ont sur la conscience, de manière fondée ou non. Se rappeler que Dieu est d’abord miséricorde, 113 sourates du Coran débutent avec la basmallah « Bismillâhi rrahmâni, rrahîm » souligne que notre foi est d’abord une ressource, que revenir à Dieu, c’est d’abord croire en Sa Miséricorde.
Certains discours religieux opposent l’islam et la psychologie, le plus souvent parce que les sciences psychologiques sont considérées avec suspicion. Elles le sont, d’ailleurs, pas seulement par le religieux ; parce que récentes, issues de la philosophie, évolutives et multiples par les différentes approches.
Quoiqu’il en soit, les sciences psychologiques ont pris une place évidente dans le champ des sciences humaines et de la santé mentale. Depuis le début du 20ème siècle et l’avènement de Freud, même si ses préceptes sont critiquables, on ne peut nier l’avancée phénoménale et l’humanisation de la prise en charge des souffrances humaines.
Comme toutes les sciences, la psychologie émet des hypothèses dont certaines sont vérifiées, puis remises en question au fur et à mesure des découvertes, d’une compréhension de plus en plus fine de l’esprit humain, de la manière dont se construit notre personnalité, dont fonctionnent nos intelligences, nos relations ainsi que les pathologies qui les affectent.
La psychologie est une science qui a acquis ses lettres de noblesse et trouve sa place dans une multitude de domaines, en lien avec d’autres sciences auxquelles elle s’articule dans une dynamique de complémentarité réciproque. Elle permet, notamment, d’aider nos enfants à mieux apprendre en adaptant les méthodes pédagogiques, en prenant en charge d’éventuelles difficultés.
Elle n’est donc pas à mettre en opposition avec la religion, tout comme aujourd’hui, personne n’hésite à utiliser les connaissances ou technologies modernes pour améliorer sa vie ou préserver sa santé. Il ne viendrait à l’idée de personne de faire face à une maladie ou une rage de dents en se contentant d’invoquer Dieu. On se tourne vers le spécialiste en demandant à Dieu de nous faciliter la résolution de nos difficultés ou notre guérison. C’est une question de bon sens et l’islam est une religion de bon sens.
Cela n’empêche que tout le monde peut critiquer une science, remettre en question certaines connaissances, se questionner sur certaines pratiques. Mais il faut le faire en connaissance de cause, en prenant la peine de savoir un minimum de quoi on parle. On trouve aujourd’hui sur le net et dans certains ouvrages, des positions aberrantes de la part de pseudo-savants religieux qui remettent en question le fait que la terre tourne autour du soleil ou qui comparent l’hypnose thérapeutique à du shirk sans savoir en quoi consiste cette technique.